La crise du Covid-19 vécue de l’intérieur par les acteurs des établissements et services sociaux et médico-sociaux
L’ANCREAI la fédération des CREAI ainsi que la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) de Dijon ont recueilli les témoignages de professionnels travaillant au sein d’ESSMS lors de la crise Covid. Au total ce sont 65 journaux de bord qui ont été transmis, les professionnels viennent de 9 régions différentes. Ces récits débutent au début du confinement en mars 2020 pour se terminer à l’été 2020. Au total, ce sont 750 pages de récit sur la crise sanitaire. L’ANCREAI et la MSH vont ensuite analyser ces récits et adresser des préconisations aux établissements pour les crises à venir.
Dans un document de synthèse publié par l’ANCREAI on retrouve 10 principales préconisations à destination des ESSMS :
- Mener des retours d’expérience avec du recul et avec tous les acteurs concernés, y compris avec les personnes accompagnées, et effectuer le bilan des innovations à maintenir
- S’accorder sur les mesures à appliquer pour gagner en sérénité et faire de l’instance mixte du CVS l’outil d’association des différentes catégories d’acteurs à la gestion de crise
- Développer l’écoute des personnels, par les directions, en situation de crise avec une vigilance aux écarts d’expériences et à la contagion des peurs
- Maintenir des temps d’échanges pour les professionnels en période de crise, avec possibilité d’élaborer les questionnements éthiques et de faire récit de la crise pour soi et pour autrui
- Favoriser une culture de l’adaptabilité pour les professionnels et accroître leur autonomie
- Favoriser l’autodétermination des personnes accompagnées : en croisant les expertises pour mesurer les risques et ouvrir des opportunités
- Repenser la charge des plannings des personnes accompagnées
- Construire des accompagnements multimodaux
- Opérer un “prendre soin“ des équipes en sortie de crise
- Pérenniser et soutenir l’évolution de l’usage du numérique au sein des ESSMS et renforcer les fonctions supports afférentes
Ce qui est intéressant dans ces différents témoignages, c’est la diversité des acteurs interrogés. Ils n’ont pas les mêmes missions, ne travaillent pas dans les mêmes types de structure, le mode d’accompagnement n’est pas identique, le public accueilli varie. Ces témoignages mettent en lumière la diversité des expériences vécues au sein des ESSMS.
L’écriture de ces journaux de bord a permis une “écriture à vif” en temps réel.
Ce procédé peut toutefois avoir quelques limites, les professionnels qui ont raconté la crise sanitaire vue de l’intérieur de leur structure n’ont pas été choisis par l’ANCREAI ou la MSH mais se sont portés volontaires. Ces personnes ne peuvent donc pas être considérées comme représentatives de toutes les structures et les observations qui ont été faites ne peuvent être généralisées à tous les établissements. Ces récits comportent également une forte part émotionnelle due au contexte dans lequel ils ont été rédigés.
Les chercheurs de l’ANCREAI et de la MSH relèvent dans un premier temps des témoignages que le confinement a été le fait le plus marquant, c’est le terme le plus utilisé avant même ceux d’épidémie et de pandémie. Le terme de confinement sera utilisé tout au long des récits. Dans un second temps, c’est l’impact du Covid-19 sur le corps et l’esprit des professionnels qui est évoqué par les chercheurs ainsi que la peur de la propagation du virus. Ensuite, c’est le bouleversement du quotidien notamment des formes d’accompagnement et la mise en place d’une nouvelle organisation qui sont mis en avant. Par exemple : “23 avril : Tout le monde perd le fil, c’est très étrange. On ne sait plus ce que l’on fait. L’assistante sociale fait de la pâte à sel avec les résidents et le comptable nettoie les poignées de porte. Journal de bord, Journal Covid dans le Haut-Rhin, ergothérapeute, SAMSAH”. Enfin, les chercheurs de l’ANCREAI et de la MSH évoquent l’accompagnement des personnes accueillies dans les ESSMS. La crise sanitaire a fait se transformer ces accompagnements (plus de temps collectifs, augmentation de l’accompagnement individuel, modifications des relations entre les salariés et les personnes accompagnées).
Une fois les différents témoignages analysés, les chercheurs d’ANCREAI et de la MSH vont mettre en avant des constats et y associer des préconisations. Le but de ces préconisations est de se préparer de manière plus sereine à une gestion de crise.
Ces constats et préconisations sont répartis en différentes catégories :
- Préparation interne
- Rééquilibrage des relations aidant/aidé et entre aidants
- Améliorations de l’accompagnement des personnes
- Reconnaissance des difficultés et résilience
Voici quelques exemples des constats et préconisations présents dans la synthèse publiée par l’ANCREAI :
Concernant la préparation interne, il a été constaté qu’il était complexe de se repérer dans les consignes officielles car elles étaient nombreuses, évoluaient rapidement et parfois contradictoires. Il a également été évoqué que la démocratie associative ainsi que la démocratie interne ont été en difficulté pendant la crise. En effet, les témoignages ne parlent que très peu des Conseil d’Administration et Conseil de Vie Sociale. Les chercheurs recommandent alors de s’appuyer sur les instances présentes dans les établissements comme le CVS pour gérer la crise.
Pour le rééquilibrage des relations aidant/aidé et entre aidants les témoignages ont mis en avant certains aspects concrets des conditions de vie des proches aidants comme la fracture numérique. Les chercheurs préconisent alors d’apporter une plus grande attention aux façons de faire des aidants afin de déceler les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur quotidien.
S’agissant des améliorations de l’accompagnement de la personne, il a été constaté que cette transformation des accompagnements avait pu avoir des bénéfices en matière de bien-être notamment liés aux activités suspendues. Il est alors recommandé aux structures de s’interroger sur la façon dont sont conçus les plannings d’activités et donc sur le temps libre laissé aux personnes accompagnées.
A propos de la reconnaissance des difficultés et la résilience, les récits font état d’une très forte charge de travail et de grandes fatigues voire d’épuisements des professionnels des établissements. Les témoignages démontrent des inégalités de soutien des directions envers leurs personnels. Certaines directions étant très impliquées et à l’écoute des besoins et difficultés de leurs personnels et d’autres en difficulté du fait de la crise et moins proches des équipes. L’ANCREAI et la MSH préconisent alors de mettre en place, pour les cadres, une écoute des personnels afin de prendre les décisions les plus adaptées pendant la crise. Les chercheurs font également des recommandations pour la sortie de la crise comme effectuer un “prendre soin des équipes” qui permettrait de se remémorer les difficultés rencontrées lors de la crise et de faire un retour sur les tensions vécues. Ce retour d’expérience a pour objectif de mieux appréhender les crises à venir.
L’intégralité des recommandations et des analyses des témoignages sont à retrouver sur les documents publiés par l’ANCREAI sur son site internet.